FATA MORGANA de Werner Herzog, 1971

Publié le par Bookmaker Chinois

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De toute la génération du Nouveau Cinéma Allemand, Herzog est sans doute l'hurluberlu le plus barré, et ce n'est pas ce Fata morgana visiblement réalisé sous l'influence de nombreuses substances illicites qui démontrera le contraire. Entre documentaire sur le Sahara, essai mystique et bizarreries en tous genres, le film se découpe en trois parties : la Création, le Paradis et l'Age d'or. Le cinéaste s'est inspiré de la mythologie Maya pour composer un texte en voix-off qui vient accompagner les images, la plupart du temps muettes. On n'y comprend à vrai dire pas grand chose, on se dit que c'est beau, sans doute, mais là n'est pas la question. Herzog nous invite en fait à une expérience plus sensorielle qu'intellectuelle, voire même supra-sensorielle, quelque chose de proprement mystique. Le spectateur se retrouve dans un état d'hypnose à contempler des paysages désertiques, des carcasses de boeufs, des étendues industrielles... Le rythme lent des plans-séquences, les mots étranges de la voix-off, les musiques qui passent du classique à Leonard Cohen, de la cithare au banjo, tout cela sonne comme une incantation, et nous voilà dans une sorte d'univers parallèle.

 

Herzog s'essaye à représenter un irreprésentable. Ses nombreux plans de mirages (fata morgana) hypnotisants montrent que la caméra est capable de capter et enregistrer quelque chose qui n'existe pas. Elle rend visible l'invisible. Quand il filme les hommes (celui avec son varan, l'enfant avec son fennec, une pianiste flippante et un chanteur à la voix déformée...), le cinéaste touche à une "inquiétante étrangeté" qui évoque le surréalisme, ou un certain David Lynch. Le film se rapproche ainsi d'une sorte de trip, il nous emmène véritablement dans une autre dimension, et tout cela sans se prendre au sérieux, en adoptant constamment un regard ironique sur ce qu'il filme et sur lui-même. Fata morgana est un grand film absurde, conscient de sa vanité. Hanté par la mort, par la disparition, il est tout aussi bouleversant que drôle et nous confronte à des sensations, des impressions profondes qu'on ne connaissait pas jusque-là. "La blague", me direz-vous ? Il suffit pourtant de se laisser prendre au jeu.

 

Si les deux premières parties du film sont une merveille d'audace (rien que l'ouverture avec ces six ou sept plans consécutifs d'avions qui atterrissent), la dernière (seulement quinze minutes, ça va) par contre laisse perplexe. Herzog va trop loin dans le bizarre, et semble faire du bizarre pour du bizarre. S'il avait déjà (volontairement) perdu le spectateur depuis longtemps, il finit par ne plus le toucher. De l'"inquiétante étrangeté" évoquée précédemment, il ne reste plus que l'"étrangeté", qui si elle n'est plus "inquiétante" devient simplement gratuite. Hormis cette note finale un peu déceptive, Fata morgana reste un grand moment de cinéma expérimental et mystique, un objet unique et passionnant qui n'a vraiment peur de rien.

 

Publié dans HERZOG Werner

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