L'HONNEUR PERDU DE KATHARINA BLUM de Volker Schlöndorff & Margarethe Von Trotta, 1975

Publié le par Bookmaker Chinois

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A peine un an après la parution du fameux roman d'Heirich Böll, Volker Schlöndorff & Margarethe Von Trotta, figures de proue du Nouveau Cinéma Allemand, réalisent cette adaptation plus qu'honnête, dans la droite lignée de cette jeune "école" très engagée voire enragée. En inventant plus ou moins l'histoire de cette gouvernante tendre et serviable, calomniée par la presse après avoir été la maîtresse d'un criminel, jusqu'à être poussée au meurtre de sang-froid d'un journaliste exécrable, Böll écrivait le pamphlet le plus virulent qui soit contre les abus des médias et la répression policière. La transposition de cette histoire au cinéma permet d'accentuer la réflexion sur la manipulation par l'image, et les deux cinéastes, en remaniant la narration originale et en insufflant une certaine dimension fantastique, construisent un engrenage infernal proche de l'absurde.

 

Le récit de Böll, bien que court, était très complexe et éclaté, multipliant les digressions, retours dans le passé et anticipations. Le film replace les événements dans l'ordre chronologique, et la descente aux enfers de Katharina revêt ainsi un aspect mécanique et fatal assez terrifiant, redoublé par la musique très contemporaine et glaçante d'Hans Werner Henze. Schlöndorff & Von Trotta utilisent intelligemment le contexte carnavalesque (l'histoire se déroule durant le carnaval de Cologne) pour créer une ambiance proche du fantastique, notamment dans une scène de panique où les visages grimés à outrance et les couleurs saturées des costumes décuplent l'effroi. Katharina, jeune femme modeste, se retrouve bien malgré elle propulsée dans une situation inextricable et invraisemblable, qui relève d'une forme d'absurde : la gouvernante perd subitement toute attache au monde qui l'entoure et sombre inexplicablement dans la violence.

 

Si l'humour cynique qui caractérisait le roman a plus ou moins disparu ici, les deux cinéastes conservent le ton assez clinique et se tiennent habilement en dehors de toute tentative de psychologie. De même jamais ils n'ont le mauvais goût de dramatiser cette histoire déjà suffisamment triste. Quand Katharina pleure, on la voit de dos, dans l'encadrement d'une porte (superbe plan). Elle ne s'offre jamais en pâture à notre regard, jamais elle n'appelle notre compassion comme les personnages de mélodrames le font parfois si obscènement. Au contraire elle ne cesse de se cacher, de se dérober non seulement aux objectifs des appareils photo qui l'assaillent et la déforment, mais aussi à la caméra de Schlöndorff & Von Trotta. Katharina Blum reste un mystère, et l'actrice Angela Winkler restitue à merveille cette ambivalence. Le personnage n'en est finalement que plus émouvant. Les deux cinéastes semblent demander : qui sommes-nous pour prétendre "saisir" un personnage ? Plus qu'un film sur les abus des médias, L'Honneur perdu de Katharina Blum est une rélfexion profondément humaniste sur le personnage de cinéma et de fiction en général. Un personnage même inventé est avant tout un humain : c'est des questions, non pas des réponses. Il faut le laisser exister en dehors du film et ne pas le traquer comme un insecte. Les médias et les autorités se chargent déjà de cette odieuse tâche.

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